Axel Le Dreau
LAET
Contexte
Le secteur des transports, principal émetteur en France
Le secteur des transports est responsable de l’émission de 32 % des gaz à effet de serre en France hors UTCATF (utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie), dont plus de 90% sont dus au transport routier. La voiture représente à elle seule 16 % des émissions de GES du pays (CITEPA, 2023). C’est le seul secteur dont les émissions ont augmenté à l’échelle européenne ces trois dernières décennies (European Environment Agency, 2022). Les émissions de CO2 ne sont pour autant pas l’unique externalité engendrée par nos pratiques de mobilité qui restent dominées par l’usage de la voiture particulière. Occupation de l’espace urbain, pollution, accidentalité, sédentarité ou encore coût de la mobilité pour les ménages sont également des problématiques découlant de l’usage de la voiture, notamment individuel. Ces habitudes de mobilité ne sont pas exclusivement liées à des choix personnels (Leck, 2011). En effet, les usagers font face à de nombreuses contraintes leur imposant parfois certains comportements de mobilité, telle que les contraintes financières dans les choix résidentiels, les lieux d’emplois concentrés dans les agglomérations, ou encore l’absence d’offre de transports en commun. La mobilité est un système complexe aux composantes économiques, territoriales, et sociologiques façonnant les modes de vies des populations et leurs déplacements (Webber et al., 2010).
Des stratégies nationales pour atténuer ces externalités
Pour atténuer ces externalités, les pouvoirs publics ont défini plusieurs objectifs encadrés par des stratégies nationales. En 2007, le gouvernement français a lancé une série de consultations politiques qui ont conduit à l'adoption des lois Grenelle I et Grenelle II, promulguées respectivement en 2009 et 2010. Ces lois ont mis en avant des modes de transport alternatifs à la route, tels que le ferroviaire, le fluvial et le portuaire, pour les déplacements et le transport de marchandises. Elles ont également encouragé de nouvelles formes de mobilité, comme l'autopartage, l'installation de bornes de recharge pour les véhicules électriques, la promotion des vélos en libre-service ou l’expérimentation des péages urbains.
Suite aux accords de Paris en 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) ont été adoptée. La SNBC identifie cinq axes d'intervention pour le secteur des transports : gestion de la demande de mobilité, optimisation de l'utilisation des véhicules et des réseaux existants, amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules, efficacité énergétique des véhicules, intensité carbone des carburants et report modal. Elle indique qu’il faudra une réduction de 28% des émissions de GES en 2030 par rapport à 2015 et une décarbonation complète en 2050, à l’exception du transport aérien domestique.
En 2019, la France adopte la loi LOM, visant à moderniser le secteur des transports et à réduire son impact environnemental. Elle vise à atteindre 100 % de ventes de véhicules propres (électriques ou hydrogène) d'ici 2040, encourage le covoiturage et la mobilité partagée, et facilite l'accès aux transports publics tout en renforçant leur développement. La LOM fixe également un objectif de réduction de 37,5 % des émissions de CO₂ pour les voitures neuves d'ici 2030 par rapport à 2021. En outre, elle met l'accent sur l'accessibilité des transports publics pour les personnes à mobilité réduite et soutient l'innovation dans le secteur des transports pour favoriser des solutions durables.
Des lois successives : un fort besoin de planification
L’enchainement successif de ces lois démontre un besoin fort de planification dans le secteur de la mobilité. En revanche, les évaluations de suivi de ces mesures démontrent que les objectifs fixés sont difficilement atteints et parfois revus en cours de route. Plusieurs raisons peuvent expliquer nos échecs actuels quant à la transition écologique.
Premièrement, les différents acteurs économiques vont avoir des objectifs divergents. Au niveau des entreprises, les contraintes économiques et logistiques imposées par la transition écologique peuvent être difficilement soutenables. Le système en place est résilient et les comportements de résistance de ces agents (lobbying, évitement) nous éloignent également de ces objectifs. La question de la responsabilité individuelle est également au centre des débats. Les individus se voient demander de réduire leurs émissions, et cela peut créer un sentiment d’injustice au regard des externalités engendrées par les entreprises ou par d’autres tranches de la population. La crise des gilets jaunes est un exemple récent des problématiques sociales émergeant des mesures fiscales sur les énergies fossiles. L’État quant à lui doit articuler la transition écologique avec l’ensemble des problématiques (industrielles, économiques, politiques, etc.) du pays, dans un contexte économique difficile parsemé de différentes crises successives (Covid, conflits armés) ayant des impacts directs ou indirects sur l’économie française.
Selon la Cour des comptes européenne, la transition énergétique à l’échelle de l’Europe entre 2021 et 2030 coutera environ 11200 milliards d’euros, soit 1120 milliards d’euros par an. En France, le projet de loi des finances de 2024 attribue 62 milliards d’euros destinés à la transition, dont 13,3 milliards pour le secteur des transports (5,9Md : infrastructures, 3.1Md : Ferroviaire, 1.5Md : verdissement du parc de véhicules, 0.2Md : Vélo). Ces investissements lourds doivent être ciblés sur des leviers de décarbonation efficaces évalués sur le long terme. En effet, ces investissements étalés dans le temps sont à mettre en perspective de l’inertie du système. Il est actuellement difficile d’évaluer les impacts de ces différents leviers à moyen/long terme, notamment en raison des potentiels effets rebonds et des comportements incertains du secteur des transports.
Nous avons certes fixé des objectifs, mais il est difficile de définir une planification efficace pour les atteindre. L’identification de la complexité systémique de la mobilité et des leviers d’action respectifs à chaque échelle territoriale nécessite des outils d’aide à la décision adaptés si l’on veut s’assurer de la pertinence de l’attribution de ces investissements.
Investir dans un secteur aux évolutions incertaines
Sur le long terme, les systèmes de mobilité présentent une grande incertitude (Gall et al., 2023) : peu de visibilité sur les externalités à moyen et long termes, incertitude sur l’évolution de la demande des usagers, sur l’évolution de leurs comportements ou ceux des autres acteurs (instances publiques, industriels, associations…) ainsi que les interactions entre ces deniers. À cela s’ajoute l’ensemble des incertitudes liées au contexte de dérèglement climatique ainsi que celles liées au contexte socio-économique du pays évoqué précédemment. La prise de décision pour assurer une transition du système de mobilité doit composer avec ces incertitudes et la nature complexe du système en question. Il est donc compliqué de mettre en place des mesures pour la mobilité de demain, et donc d’investir économiquement, en raison de ces incertitudes sur l’avenir (Delaney, 2021), surtout si l’on a peu de visibilité sur les impacts à long terme de nos décisions.
Un exemple flagrant déjà bien étudié dans ce domaine est celui du trafic induit. Afin de résoudre des problématiques de congestion en heure de pointe, il a souvent été proposé d’ajouter des voies supplémentaires aux autoroutes. Ces investissements en infrastructure routière ont certes eu des effets positifs à court terme en fluidifiant le trafic, mais avec le temps plusieurs phénomènes peuvent se produire :
- Des déplacements additionnels : les gens qui évitaient de se déplacer aux heures de pointe se disent que maintenant il y a assez d’espace et utilisent donc l’autoroute
- Les gens utilisent plus souvent leur voiture (à la place des transports en commun ou du covoiturage), car il y a moins de problèmes de trafic
- Des acteurs économiques (entreprises ou commerces) peuvent être attirés pour s’installer dans la zone
Au final, l’augmentation de la capacité finit par attirer plus de trafic, ramenant le niveau de congestion à son état initial (ou pire), ce qui illustre l’incertitude liée à la mise en place de mesures de politique publique initialement jugées comme efficaces.
La prise de décision dans un contexte d’incertitude en économie
En économie, Frank Knight propose une distinction entre risque (ou la distribution des incertitudes est connue) et incertitude (les distributions sont inconnues) (Knight, 1921). Dans ce qu’il appelle la « vraie incertitude » ou « incertitude Knightienne), il se réfère au fait que les événements futurs ne peuvent pas être anticipés par manque d’informations ou de compréhension des processus sous-jacents. Les méthodes probabilistes classiques ne sont pas applicables si l’on veut obtenir des estimations précises. L'une des implications majeures de la distinction entre risque et incertitude chez Knight est que la prise de décision dans des situations d'incertitude requiert des approches différentes de celles utilisées dans des situations de risque. Par exemple, dans un contexte de risque, les décideurs peuvent utiliser des outils probabilistes pour évaluer les risques et prendre des décisions optimales. En revanche, sous incertitude Knightienne, ces approches ne sont pas applicables, et les décideurs doivent adopter des stratégies plus flexibles et robustes pour s'adapter à l'imprévisibilité. Sous incertitude Knightienne (Ben-Haim & Demertzis, 2015) abordent le fait que la démarche de prise de décision peut consister à prévenir les mauvais résultats et à être préparé à affronter l’inconnue. On a donc ici une démarche à caractère exploratoire visant à envisager l’ensemble des futurs possibles et à s’y préparer.
Les systèmes de mobilité peuvent être soumis à l’incertitude Knightienne, car ils évoluent dans des environnements complexes avec de nombreux facteurs imprévisibles. Premièrement, les acteurs sont multiples (entreprises privés, gouvernement, usagers, autorités organisatrices des mobilités (AOM), etc.). Ces acteurs ont des comportements incertains au cours du temps, ce qui crée des interactions complexes dont les effets sont difficilement prévisibles. D’autre part, ces systèmes sont soumis à des facteurs externes, tels que les avancées technologiques (qui peuvent être de rupture (Christensen, 1997), les politiques gouvernementales (incertitude liée aux résultats des élections), les fluctuations économiques, les dérèglements climatiques ou encore les crises sociales ou les catastrophes naturelles. Les interactions entre ces différents éléments sont source de boucles de rétroaction difficilement anticipables et souvent invisibles dans nos outils de planification actuels. Les leviers de décarbonation sont également source de complexité, car leurs effets peuvent être cumulatifs ou antagonistes. Il existe également des incertitudes liées aux modèles utilisés et à leurs hypothèses.
Les incertitudes dans le domaine du transport peuvent conduire à des erreurs de planification, des coûts supplémentaires, ou des perturbations dans les opérations quotidiennes. Pour faire face à ces incertitudes, il est essentiel de se doter d’outils de modélisation robustes afin de concevoir et planifier des politiques de mobilité évaluées en amont, évaluation assurant la pertinence de ces mesures au regard des objectifs fixés.
Historiquement, les outils de modélisation des transports se basent sur des méthodes d’analyse à court à moyen terme afin de répondre à des besoins opérationnels (dimensionnement de ligne de transports en commun, étude du trafic routier, etc.). Les méthodes actuellement utilisées peuvent être agrégées (modèle 4-étapes) ou désagrégées (modèles multiagents). Afin d’alimenter ces outils, des analyses économétriques, de choix discret ou encore des enquêtes ménages-déplacements sont réalisées ((Ben-Akiva & Lerman, 1985; McFadden, 1974)). Le comportement des agents est déjà très bien documenté et étudié en économie. Ces outils permettent de faire du « forecasting » ou analyse prévisionnelle, en fournissant aux décideurs des analyses permettant de prévoir par exemple l’impact du déploiement d’une nouvelle infrastructure de transport.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’effectuer de la planification stratégique à long terme (notamment afin de tenir nos objectifs de décarbonation), ces outils ne sont pas les plus adaptés. Nous avons besoin pour cela de nous munir d’outils permettant d’augmenter les échelles temporelles et spatiales de l’analyse, tout en intégrant de manière plus exhaustive les boucles de rétroaction du système de transport ainsi que les enjeux attenants à l’évolution des comportements des parties prenantes à long terme.
Pour faire de planification à long terme, différentes études ont été réalisées à partir de méthodes de création de scenario, souvent à des échelles géographiques nationales ou internationales ((European Commission, 2021; France Stratégie, 2022; ICCT, 2021)). Selon l’économiste Michel Godet (Manuel de prospective stratégique, 2007), la prospective doit guider nos actions présentes. L’approche prospective de création de scénarios permet de définir différentes images du futur dépendant des décisions prises aujourd’hui (Hodgkinson & Wright, 2002), et diverses méthodes de production de ces scénarios existent (Amer et al., 2013; Chermack, T. J., Lynham, S. A., & Ruona, W. E, 2021; Varum & Melo, 2010), et déjà bien appliquée au secteur des transports (Miskolczi et al., 2021). Cette approche permet de réduire l’incertitude en décrivant les futurs probables.
Ces approches utilisent parfois des méthodes de « backcasting » ou « rétrospective » quantitatives ou qualitatives pour produire ces scénarios.
La méthode de backcasting a été développée dans les années 1970 pendant la crise énergétique. Les premières recherches en rétrospective ont mis en évidence que les stratégies gouvernementales et les comportements des consommateurs pourraient s'associer pour modifier progressivement des conséquences apparemment inévitables, incluant la demande énergétique en perpétuelle croissance et les sources d'approvisionnement de plus en plus volumineuses et problématiques sur le plan environnemental (Paehlke, 2012).
Selon (Peter & Jonas, 1994), la méthode de backcasting trouve sa pertinence lorsque l’objet de l’étude est une problématique sociétale qui doit être résolue, ce qui correspond au cadre de la transition socioécologique et du développement durable (Dreborg, 1996) et plus précisément dans notre cas les externalités liées aux pratiques actuelles de mobilité notamment en matière de décarbonation.
On peut donc observer deux approches d’évaluation des transports, une approche de forecasting basée sur des outils de prévision à court terme, et une approche en backcasting utilisant la création de scénarios pour définir des feuilles de route de transition.
Au croisement de ces deux approches, la dynamique des systèmes semble être un outil pertinent pour caractériser la complexité du système de la mobilité en définissant des scénarios de transition à horizon 2030-2050 afin d’identifier par rétrospective les leviers de décarbonation à actionner dès aujourd’hui en intégrant les connaissances et données actuelles de l’économie des transports notamment sur le comportement des agents économiques.
Initialement développée au MIT dans les années 50 (Forrester, 1958), cette approche permet de modéliser des systèmes complexes afin de porter des recommandations de politiques publiques auprès des décideurs (Abbas & Bell, 1994) et est appliquée tant de la compréhension du comportement humain que des systèmes physiques ou techniques notamment des sciences économiques (Obeng-Odoom, 2009).
(Forester, 1969) mentionne que le monde réel est composé de boucles multiples, et d’interactions rétroactives non linéaires qui réagissent aux actions des décideurs, prises de manière anticipée ou non anticipée. Afin de modéliser ces interactions et leur temporalité, la dynamique des systèmes a été créée notamment en s’appuyant sur l’élasticité économique qui permet d’évaluer la réactivité des variables économiques. En effet, le concept d’élasticité joue un rôle important dans l’utilisation de la dynamique des systèmes que ce soit dans la modélisation des réactions, la simulation de scénarios, les analyses de sensibilité ou l’optimisation de politiques publiques.
Un récent rebond pour l’intérêt de cette approche est observé, en partie dû aux problèmes environnementaux et à une conscience croissante de la nécessité de planifier à moyen et long terme notamment suite au rapport Meadows (Meadows, 1972) dont les résultats sont basés sur le modèle World3. Le développement de la pensée systémique, illustrée avec des diagrammes de causalité, a également gagné en popularité, soulignant l'importance de la réflexion sur les boucles de rétroaction pour comprendre les problèmes complexes.
En sciences économiques, c’est l’approche économétrique qui a été beaucoup répandue au détriment de la dynamique des systèmes, notamment car lors d’une période stable, les décisions sont plutôt prises à court terme, et cette approche est beaucoup plus efficace dans ce contexte. Face aux enjeux actuels de transition et la nécessiter de planifier à long terme, la dynamique des systèmes est dorénavant reconsidérée, afin de compléter les outils classiques d’évaluation économique.
J’ai réalisé, dans le cadre de mes missions actuelles, un état de l’art de l’application de la dynamique des systèmes au secteur des transports en me concentrant sur trois aspects :
- L’évaluation de politiques publiques de mobilité
- Le développement de véhicules alternatifs
- Le choix modal des usagers
J’ai pu ainsi analyser une cinquantaine d’articles me permettant d’identifier l’intérêt de la dynamique des systèmes pour l’évaluation de politiques publiques de transport.
En effet, cette approche a beaucoup été utilisée dans un cadre d’évaluation prospective du secteur des transports en analysant les effets de différentes politiques publiques. En revanche, peu de travaux ont traité la question de l’évolution des comportements des parties prenantes au cours du temps ni celle de la combinaison de leviers de décarbonation pouvant entraîner des effets de substitution ou de compétition (méthode de backcasting).
Combiner le forecasting et le backcasting via la dynamique des systèmes peut offrir une approche plus complète et robuste à la planification stratégique et à la prise de décision. Le forecasting fournit une base solide en analysant les tendances passées et actuelles, ainsi que les comportements observés grâce aux méthodes classiques de l’économie (économétrie, etc.). Ensuite, le backcasting complète cette analyse en fixant un objectif ou une vision à long terme, puis en identifiant les actions concrètes nécessaires pour atteindre cet objectif tout en définissant les étapes intermédiaires entre l’instant présent et l’objectif à atteindre. Cette approche permet de s'assurer que les décisions prises sont alignées avec une vision stratégique à long terme tout en tenant compte des réalités et des incertitudes du présent (économiques, environnementales, politiques, etc.). De plus, en intégrant les deux approches, les décideurs peuvent mieux évaluer les implications à long terme de leurs décisions immédiates et adapter leurs stratégies en conséquence, ce qui renforce la résilience et la durabilité de leurs initiatives.
Questions de recherche
Suite à cette analyse, trois principales questions émergent :
Comment les outils classiques de l’économie peuvent-ils alimenter les modèles de dynamique des systèmes ?
En effet, les connaissances actuelles en économie des transports peuvent potentiellement être mobilisées pour construire des modèles de dynamique des systèmes. Par exemple, les fonctions d’utilité peuvent traduire les relations entre les variables du système. Les résultats d’analyses multicritères, de modélisation macroéconomiques (couplage PIB énergie par exemple) ou encore les résultats des analyses de coûts-bénéfice peuvent également servir à construire ces modèles. L’objectif est de déterminer quels outils peuvent être intégrés efficacement pour l’évaluation de politiques publiques de transport.
Comment ces modèles de dynamique des systèmes enrichis peuvent-ils servir comme outil d’aide à la décision en économie des transports ?
Une fois le modèle construit, autour des deux sous modèles offre et demande, la mise en place de politiques publiques de transport sera simulée (gratuité des TC, restriction de la voiture (coût/interdiction), taxe carbone, etc.). L’objectif sera d’étudier la pertinence des résultats obtenus par ces modèles au regard des enjeux actuels, et de déterminer dans quel cadre ces outils permettent d’accompagner les décideurs.
Comment la construction d’un modèle de transport par la dynamique des systèmes permet d’identifier les effets de substitutions, de compétitions, d’amplification ou les effets rebonds observés lors de la combinaison de différents leviers de décarbonation ?
Finalement, un des principaux objectifs de la thèse sera de construire un outil d’aide à la décision permettant de comprendre les interactions entre les différents leviers de décarbonation. En effet, la modélisation via la dynamique des systèmes permettra de simuler différentes planifications stratégiques pour le secteur des transports (par exemple gratuité des TC puis interdiction de la voiture (ou ZFE) quelques années plus tard, afin d’observer les résultats de différentes configurations. Est-il plus pertinent de mettre en place ces mesures conjointement ? Avec un intervalle de 2 ans ? 5 ans ? Ces mesures sont-elles cumulatives ou antagonistes ? Le modèle servira à répondre à ce type de questions.
Méthodologie
Analyse de la littérature
Dans un premier temps, une analyse de la littérature sera réalisée sur différents aspects :
- L’utilisation de la dynamique des systèmes en économie : : identifier les utilisations de la dynamique des systèmes dans la littérature économique afin d’analyser les apports et les manques de cet outil pour la discipline.
Objectif
Méthode : Revue systématique de la littérature en utilisant les bases de données académiques, avec les mots clés « dynamique des systèmes », « modèles économiques », etc.
- Les composantes du système de mobilité: : identifier l’ensemble des éléments permettant de réaliser un diagramme causal du secteur de la mobilité (offre de transport, demande de déplacement, externalités, infrastructures, composantes économiques, etc.)
Objectif
Méthode : Analyser les rapports d’étude, la littérature académique et les travaux caractérisant la mobilité comme un système complexe. Produire une cartographie des composantes qui seront utilisées pour le diagramme causal.
- L’évaluation économique de politiques publiques de mobilité à moyen long terme (état de l’art déjà commencé et déjà bien avancé) : Compléter l’état de l’art déjà réalisé sur l’évaluation de politiques publiques de transport par la dynamique des systèmes
Objectif
Méthode : Analyse des études de cas et des modèles existants. Proposer un cadre comparatif pour classer les modèles existants (échelle géographique, type de modèle, résultats principaux, etc.).
- Les méthodologies d’évaluation des comportements de mobilité des agents au cours du temps en économie : Identifier les outils d’étude des comportements des agents en économie et leur utilisation dans des modèles de dynamique des systèmes
Objectif
Méthode : Caractérisation succincte des méthodes de choix discrets, des modèles de simulation, des analyses économétriques, etc. Revue systématique des travaux concernant leur utilisation croisée avec la dynamique des systèmes (recherche par mots-clés dans les bases de données académiques)
- Recensement des leviers de décarbonation du secteur des transports et impacts potentiels : Identifier les leviers de décarbonation du secteur des transports
Objectif
Méthode : Revue systématique de la littérature en utilisant les bases de données académiques. Classement des leviers selon les types de politique publique (indicateurs à déterminer : type de décideur, budget, impacts CO2…)
Définition du système de mobilité
Ensuite, l’étape suivante sera de définir le système de mobilité en caractérisant l’offre et la demande de déplacement afin de produire un diagramme de causalité. Un exemple de ce type de modèle est présenté ci-dessous :
Figure 1 : Diagramme causal du sous-modèle Transport de MARS (modèle transport-urbanisme)
Source : (Kikuchi et al., 2018)
La section de l’état de l’art portant sur l’application de la dynamique des systèmes au secteur de transport permettra d’identifier les manques des modèles actuels ou les opportunités de développement au regard des problématiques spécifiques au contexte français. L’objectif sera de premièrement produire un diagramme exhaustif sur la question du choix modal, puis ultérieurement dans la thèse de l’adapter à différents cas d’étude.
Collecte de donnée
Ensuite, une phase de collecte de données permettra d’amorcer la réflexion du passage du diagramme causal au modèle opérationnel. Pour cela, plusieurs types de données seront utilisés :
- Des données macroéconomiques pour le contexte (PIB, population, etc.)
- Des données des enquêtes ménage-déplacement (EMP2019, enquête locale, etc.)
- Données des offres de transport (performances : capacité, vitesse, coût, etc.)
- Analyse de la demande : au sein de l’institut VEDECOM, des enquêtes de choix discret seront réalisées (scénarios 2030-2040) et viendront alimenter le modèle
- D’autres types de données (statistiques, opérationnelles, etc.) dont le type sera déterminé ultérieurement en fonction des besoins
Modélisation et analyse
Concernant la demande de déplacement, l’objectif sera premièrement de comprendre comment les résultats d’enquêtes de choix discrets ou de préférences déclarées pourront alimenter la modélisation du choix modal dans le modèle de dynamique des systèmes. Il s’agira également, en s’appuyant sur des fonctions d’utilité et sur des élasticités, de modéliser le comportement des agents au regard de l’évolution des paramètres des offres de transport (suite à la mise en place d’une politique publique en cas d’incitation économique par exemple, ou encore suite à un progrès technologique). Actuellement la demande de transport est évaluée de manière désagrégée, et l’intérêt est donc d’identifier les conditions d’intégration de ces données dans un outil de dynamique des systèmes.
Développement d’un outil d’aide à la décision
- Construction du modèle complet
L’objectif sera ensuite de produire un outil d’aide à la décision modélisant le système de transport (offre et demande) via la dynamique des systèmes, pour observer les réactions de ce système suite à la mise en place de politiques publiques (analyses de sensibilité, comportements des agents, externalités environnementales) afin d’identifier les combinaisons de leviers les plus efficaces.
Ce modèle sera caractérisé par différents sous-modèles (offre, demande, externalités, parties prenantes hors usagers, etc.), ce qui permettra de l’appliquer à différentes échelles et à différents contextes territoriaux.
Par la suite, il s’agira de définir les leviers pertinents de décarbonation applicables à ce système. Cela permettra de simuler la réaction du système offre-demande à la mise en place de politiques publiques de mobilité afin d’identifier les combinaisons de leviers pertinentes à prioriser dans un contexte d’allocation des ressources économiques qui sont limitées.
Par exemple, nous pourrons observer l’effet de la gratuité des transports en commun sur le choix modal en observant les modifications de la répartition de la demande sur l’offre suite à la mise à place de cette mesure. Nous pourrons également simuler la mise en place d’une incitation économique à l’utilisation du véhicule électrique et observer la modification du comportement de la demande en fonction de différents niveaux d’incitation, et du potentiel couplage avec d’autres mesures.
- Approche par backcasting
Une méthode de backcasting sera ensuite définie (en s’appuyant sur des notions d’optimisation et des analyses de sensibilité) pour premièrement identifier les variables influentes dans le système et pour ensuite analyser différents scénarios d’évolution du système (sobriété, progrès technologique, etc.).
Cette section sera à affiner une fois la construction du modèle démarrée, de manière à choisir la méthode de backcasting la plus adaptée.
L’objectif est finalement de produire un outil d’aide à la décision pour l’évaluation de politiques publiques permettant de comprendre les interactions entre offre et demande au regard de leviers de décarbonation et d’identifier quels sont les leviers économiquement réalistes et permettant de répondre à nos objectifs de décarbonations.
Contributions
Connaissance : Apport concernant l'utilisation de la dynamique des systèmes en économie et son application en économie des transports. La méthode est encore peu utilisée en France lors de l’évaluation des transports, et ce travail vise contribuer au déploiement de cette méthode.
Pratique : Développement d’une méthodologie de planification stratégique des politiques publiques de transport couplant outils classiques et dynamique des systèmes. Cette thèse contribuera à la définition d’une méthodologie d’évaluation des politiques publiques à long terme ainsi qu’à la rédaction de recommandations pour les décideurs dans un objectif de décarbonation.
Outil d’aide à la décision : Création d’un outil pour les décideurs territoriaux. Au croisement des deux contributions précédentes, la thèse a pour objectif la production d’un outil d’aide à la décision dont la méthodologie / l’outil pourront être utilisés dans d’autres contextes. La diffusion de la méthodologie sera faite d’un point de vue académique (publications) et la diffusion de l’outil en lui-même reste à déterminer.
Références
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